10 ans après sa découverte, cette technologie révolutionnaire d’édition du génome montre des résultats préliminaires encourageant chez des patients traités pour une maladie génétique mortelle.
Je commençais ma licence en Biologie lorsque CRISPR a été découvert et caractérisé pour la première fois par les professeures Emmanuel Charpentier (ancienne doctorante à l’Institut Pasteur) et Jennifer Doudna. Presque 10 ans plus tard, elles ont reçu un prix Nobel pour leur découverte et je l’utilise quotidiennement au labo. Inspirant à la fois des titres optimistes et alarmants dans les médias grand public, CRISPR est rapidement devenu un outil commun dans les labos de biologie. L’impact qu’a eu la technologie CRISPR sur la manière dont est menée la recherche est si importante qu’il en est facile d’oublier que les applications médicales de l’édition du génome n’en sont encore qu’à leur début. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu vous partager un essai historique passionnant qui marque un pas de plus dans l’objectif de la recherche d’aider les patients.
La transthyrétine est une protéine sécrétée par les cellules hépatiques (cellules du foie) pour aider le transport des hormones et des vitamines dans le corps. Malheureusement, pour 5000 patients souffrant d’amyloïdose à transthyrétine, une mutation génétique transforme la transthyrétine en une tueuse à petit feu, causant des dommages mortels aux organes et des symptômes invalidants. Une étude clinique récente a démontré la réussite du ciblage du gène de la transthyrétine à l'aide de CRISPR, une technologie de pointe en matière d'édition du génome.
Rechercher et détruire
Comme toutes les protéines produites par notre corps, toutes les informations nécessaires à la synthèse de la transthyrétine sont contenues dans un gène codé dans l’ADN de nos cellules. Dans de rare cas, ce gène peut porter une mutation spécifique, souvent hérité d’un parent, entraînant un changement dans la structure de la protéine. Les protéines s’agrègent alors dans le sang et s’accumulent lentement au niveau du système nerveux et du cœur, entraînant une perte progressive de sensibilité au niveau des membres, et à terme, une démence et une insuffisance cardiaque. Bien que des traitements existent pour stabiliser la protéine et/ou réduire sa production, l’Amyloïdose à transthyrétine reste toujours incurable.
En raison de l’origine génétique de la maladie, une équipe international, associant des chercheurs d’universités publiques et d’entreprises biotechnologiques, a pensé que perturber le gène muté de la transthyrétine dans les cellules hépatiques pourrait potentiellement bloquer définitivement la production de la protéine et guérir ainsi efficacement la maladie 1.
C’est ici que CRISPR intervient. Souvent décrit comme une paire de ciseau moléculaire, CRISPR consiste en une enzyme appelée Cas9 couplée à une petite molécule que l’on appelle un ARN guide qui, ensemble, scannent et coupent l’ADN en un site spécifique. Étant donné que l’ARN guide est, comme l’ADN, composé d’une séquence de « lettres », il peut être utilisé par la Cas9 comme une tête chercheuse pour trouver la séquence qui correspond sur l’ADN du gène ciblé. CRISPR agit ainsi comme une fonction recherche d’un logiciel d’édition de texte qui trouve une phrase prédéfinie dans le géant document qu’est notre génome puis coupe le texte pour en extraire uniquement le site spécifique. Les chercheurs peuvent donc aisément reproduire la technologie CRISPR pour couper n’importe quel gène dans une cellule humaine par un simple changement de la séquence d’ARN guide, qui suffit souvent à perturber l’activité du gène.
Le défi de la mise en œuvre
Au cours des 10 dernières années, la technologie CRISPR a été régulièrement utilisée en culture cellulaire dans les laboratoires du monde entier. Plus récemment, elle a permis la réussite d’une chirurgie génétique sur des cellules prélevées sur des patients atteints de drépanocytose. Une fois modifiées, les cellules ont été réinjectées à ces patients après avoir vérifié que la procédure s'était bien passée.
Toutefois, cibler directement les cellules d’un patient s’avère être un défi beaucoup plus important. Les chercheurs ont en effet dû s’assurer que la Cas9 et la séquence d’ARN guide soient acheminés vers le plus grand nombre de cellules possible dans le bon organe et qu’une fois sur place, elles se comportent de manière similaire à ce qui a été observé au laboratoire. Heureusement, les cellules du foie absorbent régulièrement des molécules de la circulation sanguine dans leur fonctionnement normal.
Les chercheurs ont donc emballé dans des gouttelettes lipidiques leur ARN guide et un ARN messager contenant les informations pour la production de l'enzyme Cas9, une stratégie similaire à celle utilisée dans les vaccins à ARN. Les gouttelettes lipidiques, directement injectées dans le sang des patients, ont agi comme un cheval de Troie : reconnues par les protéines de transport du sang, elles ont alors pu être internalisées par les cellules hépatiques. Ces cellules ont ensuite utilisé l'ARN messager pour produire elles-mêmes l'enzyme Cas9, qui s'est ensuite associée à l'ARN guide qui l'accompagne et qui cible le gène de la transthyrétine, détruisant ainsi la synthèse des protéines.
Un traitement ponctuel avec des effets à long terme
28 jours après une unique injection, les six patients participant à l'étude ont tous présenté une diminution des taux de transthyrétine circulante avec une réduction moyenne de 87 % pour la dose la plus forte du médicament. Ces résultats sont très encourageants, et bien qu'il soit trop tôt pour observer un impact sur la progression de la maladie, on s'attend à ce que l'effet soit permanent : les cellules hépatiques traitées transmettent le gène de la transthyrétine perturbé lors de la division cellulaire.
L'équipe de recherche poursuit l'essai avec des doses plus élevées dans l'espoir d'obtenir une suppression totale de l'expression de la protéine, ce qui permettra aux patients de se rétablir sur le long terme. Il est intéressant de noter que la suppression totale du gène chez les souris a seulement entraîné une diminution des taux sanguins des hormones normalement transportées par la transthyrétine, sans effet négatif sur leur santé. L'impact sur l'homme, en revanche, est encore inconnu et certaines études suggèrent que la transthyrétine pourrait jouer un rôle protecteur dans le cerveau 2. Un dernier objectif de l'essai sera donc d'évaluer si, à partir d'une certaine dose, des effets indésirables potentiels apparaissent susceptibles de l'emporter sur les bénéfices du traitement.
Ce dernier point souligne la difficulté pour les chercheurs de prévoir l'effet de la perturbation d'un gène qui peut avoir diverses fonctions dans différents organes du corps humain. Par conséquent, des recherches sont actuellement en cours pour développer des versions plus fines du système CRISPR qui pourraient corriger précisément les mutations génétiques sans cicatrices génétiques ni impact sur l'expression du gène.
Références
1. Gillmore et al. (2021) CRISPR-Cas9 In Vivo Gene Editing for Transthyretin Amyloidosis. N. Engl. J. Med. http://doi.org/10.1056/NEJMoa2107454
2. Liz et al. (2020) A Narrative Review of the Role of Transthyretin in Health and Disease. Neurology and Therapy. https://doi.org/10.1007/s40120-020-00217-0
Informations supplémentaires
1. Biologist Explains One Concept in 5 Levels of Difficulty - CRISPR | WIRED https://www.youtube.com/watch?v=sweN8d4_MUg
2. Can CRISPR cure Sickle-cell Disease? | NATURE VIDEO https://www.youtube.com/watch?v=mQ8Ola_C5po
3. CRISPR gene therapy shows promise against blood diseases | NATURE NEWS
4. Editas Early Data for CRISPR Therapy EDIT-101 Shows Efficacy “Signals” in Two Patients | GEN https://www.genengnews.com/news/editas-early-data-for-crispr-therapy-edit-101-shows-efficacy-signals-in-two-patients/
5. Genetic Engineering Will Change Everything Forever – CRISPR | KURZGESAGT
6. Emmanuelle Charpentier – Graduation Ceremony 2020 | Institut Pasteur https://www.youtube.com/watch?v=SfGxbdQ8x_0
Cet article a été édité par le spécialiste Dr. David Bikard, révisé par Maureen Wentling et traduit de l'anglais par Camille Thiberge. Cet article est le fruit d'une collaboration avec ComSciCon France, un atelier de travail sur la communication scientifique pour les doctorants.
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