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Oeuvre d'Alba Llach Pou

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Le chercheur : un portrait non-scientifique

Dernière mise à jour : 17 oct. 2022

La recherche scientifique est financée par des organismes caritatifs, des associations et par le gouvernement et prospère grâce à la société. En retour, la science fait progresser la société. Malgré cette symbiose intrinsèque, les scientifiques ne sont pas érigés en célébrités. Ils ne sont souvent pas au centre de l'attention, et leur monde reste généralement un mystère. Que cela signifie-t-il réellement d'être un scientifique ? Et qu'est-ce que la formation scientifique a à offrir ?

L'étudiant emprunte le même vieux couloir pour se rendre dans le bureau de son directeur pour une dernière discussion avant sa soutenance de thèse. Ce couloir a tout vu: la curiosité et l'ambition, la frustration et la joie de la recherche, le travail acharné et l’évolution de cet étudiant. Son mentor a un dernier conseil à donner pour cet examen important : "Si tu ne connais pas la réponse, dis simplement que tu ne sais pas".

Cela peut sembler trivial, mais la pression de toujours avoir une réponse fait qu'il est facile d'oublier la valeur de ne pas savoir. C'est grâce à ces limites que l'on peut continuer à évoluer, ou comme le disait Milan Kundera, un célèbre écrivain tchèque: "La bêtise des gens consiste à avoir une réponse à tout. La sagesse d’un roman consiste à avoir une question à tout."

En tant que chercheuse, j'ai commencé à m'interroger sur l'essence même du métier de scientifique, et qui de mieux que mes collègues pour tenter de la définir ? Plongeons donc dans l'esprit de ces gens qui posent si souvent "les questions" et voyons ce qui les motive - scientifiques interviewés.

L'excitation et la frustration face à l'inconnu

Le questionnement est au cœur de la science. Lorsqu'on leur demande quels sont leur moteur et leur motivation dans leur travail, les scientifiques répondent souvent : la curiosité et l'excitation face à l'inconnu. "J'ai aussi un sentiment d'exploration, j’associe [la recherche] à une aventure", explique Zuzanna. Alors que les médias ont tendance à présenter les scientifiques comme des personnes en possession des réponses, la réalité du quotidien d'un scientifique réside plutôt dans la complexité à les résoudre. Ce décalage est important tant pour les scientifiques que pour le public.

Les aspirants chercheurs se lancent souvent dans la recherche en tant que premiers de la classe, habitués à connaître les bonnes réponses, mais font face à un monde rempli de questions et d'incertitudes. "Je suis tout le temps frustré. Au début, je me sentais mal dans ma peau", raconte Semihcan. La recherche étant en constante progression, les scientifiques doivent également garder en tête que les réponses qu’ils proposent grâce à leur travail acharné ne sont pas intemporelles. "Contrairement à un livre de recettes, les conclusions scientifiques sont en permanente évolution et sujettes à des corrections", explique Michael. C'est pourquoi les articles scientifiques se terminent par une section "Discussion" qui propose que les résultats de la recherche "suggèrent fortement" plutôt que "prouvent" quoi que ce soit. Pour le scientifique, cela peut être un cheminement personnel difficile, mais est aussi un processus clé pour enseigner l'humilité et le scepticisme. Ces qualités précieuses de rigueur et d'intégrité de la recherche s'infiltrent souvent dans la vie quotidienne des scientifiques, les rendant prudents voir sceptiques au fait d’exposer leurs connaissances.

Pour le public, ce processus de recherche scientifique passionnant et frustrant, est souvent caché ou déformé. Prenons l'exemple de la pandémie de COVID-19. Cette situation unique a exposé les mécanismes sous-jacents de la recherche au public ; un public qui souhaite souvent des réponses rapides et claires pour se rassurer. Au lieu de cela, ils ont fait face à des "spéculations" (ce que les scientifiques appellent des hypothèses) et le "débat" scientifique intrinsèque qui en découle. Ce processus fait avancer la science, mais pour l'œil non averti, il peut créer le chaos et la méfiance. Comme l'a fait remarquer Michael : "Les gens veulent une histoire avec un récit cohérent." Cependant, cela ne peut pas venir de la lecture d'un brouillon en cours de réalisation, et la solution est peut-être "plus de transparence [de la part de la communauté scientifique]", estime Giovanni. Ce processus peut être "terriblement ambigu" et "intimidant", même pour les scientifiques, comme le souligne Zuzanna. La solution réside dans "le tri des informations, des évaluations plus claires et de l'intuition", autant d'éléments qui ne peuvent être obtenus que par une formation adéquate et un investissement dans le temps. Après tout, comme le mentionne Morgane : "c'est un art de surveiller notre propre jugement et de rester objectif".

Le remède miracle d'une question bien posée

Comme le disait le philosophe John Dewey : "Un problème bien posé est à moitié résolu", et parfois, investir du temps et trouver les meilleurs moyens de s'attaquer au problème peuvent être aussi précieux que la solution elle-même. C'est une idée que les scientifiques ont évoquée lorsqu'on leur a demandé ce qu'ils aimeraient inspirer à la prochaine génération. Un thème récurrent dans leurs réponses s'articule autour d'un trait inné qui est au cœur du questionnement : la curiosité. Souvent sous-estimée, la curiosité d'un enfant est très précieuse et facilement remplacée par "des réponses enseignées comme si elles étaient tirées d'un manuel d’école", explique Giovanni. "La pire erreur de l'enseignant est de donner des réponses sans nuances, reprenant la dichotomie du tout blanc ou tout noir. [A la place,] ils devraient fournir des idées et des descriptions (...) De même, les parents devraient encourager la curiosité et ne pas rejeter les questions [des enfants]". Dans une ère inondée d'informations et de progrès, les enfants doivent être préparés à adapter constamment leurs pensées et leur compréhension face à de nouveaux contextes. Cela ne peut se faire qu'en armant cette curiosité d'un esprit critique et de techniques de recherche structurées et efficaces. Aussi naturel et intuitif que cela puisse paraître, c'est un défi pour les enseignants, les parents et les mentors de préparer la prochaine génération à l'art de l'adaptabilité et de l'esprit critique. C'est cette même curiosité qui anime les scientifiques tout au long de leur carrière et les guide par la méthode scientifique. Décrite en détail pour la première fois par Galilée dans II Saggiatore (L'Essayeur) en 1623, cette méthode, actuellement toujours utilisée dans la recherche, consiste à tester une question et à être prêt à prouver qu'elle est juste, fausse ou même d’être incapable de déterminer la réponse. Un autre collègue, Baptiste, poursuit en décrivant le plaisir de s’instruire : "tant qu'il y a quelque chose de nouveau à comprendre, c’est ludique".

Dans ce processus, les scientifiques soulignent qu'un autre concept essentiel qui mérite d'être perpétué est la valeur de la frustration et même de l'échec momentané ; "un concept qui vaut la peine d'être transmis", explique Giovanni. Du sport à la recherche scientifique en passant par les affaires, le développement, quel qu'il soit, nécessite de la frustration. Alors que nous nous habituons constamment à recevoir un produit fini ou un résultat couronné de succès, le processus d'essais et d'erreurs reste souvent à l’abri des projecteurs. L'exposition à la frustration en tant que compagnon plutôt qu'ennemi, comme lorsqu'on lutte à comprendre de nouveaux concepts, est la preuve que l'on peut repousser un peu plus loin nos limites à chaque étape du processus. Anna explique qu'il est important d'enseigner ces notions précocement car, avec l'âge, "l'excitation et le questionnement peuvent être remplacés par la gêne de ne pas avoir de réponse, ou simplement les gens peuvent limiter leur temps alloué à être curieux."

Bâtir un pont avec le public avant de pouvoir l’emprunter

La curiosité et l'esprit critique allant de pair, les scientifiques estiment qu'il est important, voire qu'il est de leur devoir d'enseigner et d'inspirer les enfants et même les adultes. Les scientifiques interrogés s'accordent à dire que le temps est le facteur limitant lorsqu'il s'agit d'activités de vulgarisation, mais cela peut parfois être surmonté avec de la motivation et une structure adaptée. "Les scientifiques peuvent s'engager dans la communication scientifique de différentes manières et à différents degrés", explique Arthur, chercheur et fondateur du blog de communication scientifique Softbites et organisateur de l'atelier ComSciCon France. Il identifie deux sources principales de motivation pour la vulgarisation scientifique, avouant se retrouver dans la seconde : "Parfois, c'est la passion de l'enseignement (...) Sinon, c'est simplement partager à quel point la science peut être belle".

Pour les chercheurs, la communication scientifique peut être aussi importante que la recherche. "C'est un test sur sa propre compréhension du sujet", souligne Michael. Il ajoute qu'expliquer cette science est "rafraîchissant et constitue un précieux rappel du sujet perçu dans son ensemble". Il faut une compréhension profonde et une perspective créative pour être capable d'expliquer des notions scientifiques complexes aux enfants. "Il est essentiel de décomposer les informations pour les autres, mais aussi pour soi-même", déclare Semihcan. De même, "utiliser des analogies pour transformer des concepts abstraits en quelque chose de tangible ou de visuel" est ce que Baptiste applique le plus souvent lorsqu'il enseigne les sciences. Arthur explique que bien simplifier sans déformer le sens des notions scientifiques peut être un défi et une compétence précieuse que les scientifiques sous-estiment parfois. "Cela devient encore plus difficile lorsque les gens ont déjà une opinion formée et cherchent en fait une validation plutôt qu’une explication qui pourrait contredire leurs croyances initiales", ajoute Morgane. "Combattre ces biais cognitifs peut vous aider à identifier et à vous prémunir contre les vôtres", explique-t-elle. Les questions scientifiques devenant de plus en plus complexes et vastes, les domaines scientifiques nécessitent des collaborations interdisciplinaires, des biologistes aux informaticiens, ainsi qu'une communication efficace entre praticiens et chercheurs. Dans ces contextes, les compétences en communication scientifique, telles que la simplification, les analogies et même la prise en compte des biais cognitifs, deviennent des facteurs clés pour garantir l'intégration des compétences dans un projet commun.

Ces conversations éclairées avec mes collègues m'ont appris que la science est un élément important du progrès, et que le questionnement est au cœur de la science. À travers la frustration et l'excitation, il est important de cultiver un état d'esprit scientifique, pour nous ainsi que pour la prochaine génération. Ne pas connaître la réponse permet d’identifier une question, et c'est un excellent point de départ pour trouver le chemin de la connaissance.

Cet article est basé sur une série d'entretiens avec des scientifiques. Nous remercions vivement les participants qui ont pris le temps de partager leur point de vue sur la façon dont la carrière et la formation scientifiques façonnent le chercheur à l’extérieur, influençant le parent, l'oncle ou la tante préférés, le frère ou l'ami qu'il ou elle sont pour les non-scientifiques.

  1. Morgane Besson (chercheuse permanente en neurosciences, Institut Pasteur)

  2. Baptiste Colcombet-Cazenave (étudiant en thèse en biologie moléculaire, Institut Pasteur)

  3. Giovanni Diana (post-doctorant biologie computationnelle, Institut Pasteur)

  4. Michael McGrath (post-doctorant en biologie cellulaire, Institut Imagine)

  5. Arthur Michaut (post-doctorant en biologie du développement, Institut Pasteur)

  6. Zuzanna Piwkowska (post-doctorante en neurosciences, Institut Pasteur)

  7. Semihcan Berat Sermet (post-doctorant en neurosciences, Institut Pasteur)

  8. Anna Zych (étudiant en thèse en neurosciences, Max Planck Institute)

Cette article a été édité par Cliff Shoals et révisé par Anqi Zhou. Traduit de l'anglais par Elsa Charifou.


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