Saviez-vous que le lait maternel n’est pas stérile ?
Le lait maternel est le régime alimentaire de référence pour les nourrissons. Il est connu pour ses propriétés nutritionnelles, hormonales et immunitaires qui garantissent un développement optimal du nourrisson. De plus, il représente un liquide biologique colonisé par des millions de bactéries qui peuvent être à l’origine de certaines infections, notamment chez les enfants prématurés.
Depuis la fin de l’année 2021, je travaille dans une équipe de recherche en métagénomique au Centre National de Recherche en Génomique Humaine. La métagénomique est un procédé méthodologique qui vise à étudier le microbiote. Le microbiote est l'ensemble des micro-organismes (bactéries, levures, plancton…) vivants dans un environnement spécifique (intestin, océan, sols, air…). Des chercheurs de l’Institut Pasteur et de l’Inserm étudient également le développement du microbiote et du système immunitaire du nourrisson.
Notre projet de recherche porte sur l’analyse de la composition bactérienne du lait maternel. Il est très important pour moi d’approfondir nos connaissances sur ce sujet afin de mieux comprendre les mécanismes positifs et/ou négatifs dus à sa consommation. A terme, l'objectif serait d'isoler des bactéries qui peuvent nous être bénéfiques, et permettant par exemple de traiter des maladies. C’est pourquoi je souhaite partager avec vous cette thématique de recherche.
Lait maternel et microbiote
Le microbiote est un ensemble de micro-organismes interagissant dans un environnement spécifique chez un hôte (ex : l’être humain) et pouvant être bénéfiques (protection contre des maladies) et/ou pathogènes (source d’infections) pour ce dernier.
Aujourd’hui, on connaît principalement le microbiote intestinal mais il existe également d’autres microbiotes au niveau cutané, vaginal et pulmonaire. Au cours des dernières années, des études ont démontré que le lait maternel abrite également son propre microbiote. Cependant, le microbiote du lait a encore été peu étudié.
Le lait maternel a longtemps été considéré comme un liquide biologique stérile, c’est-à-dire dépourvu de micro-organismes et notamment de bactéries. C’est faux ! Grâce au développement de technologies plus précises, il a été démontré que c’est une source de nombreuses bactéries qui améliorent la santé du nourrisson en favorisant la colonisation de son tube digestif par des bactéries dites bénéfiques. Ces bactéries constituent la flore intestinale commensale, favorisent le bon développement de la barrière intestinale du nourrisson et participent à l’établissement de son système immunitaire.
Le microbiote du lait maternel commence à se constituer lors du dernier trimestre de la grossesse et s’enrichit constamment tout au long de l’allaitement et jusqu’à son arrêt définitif par la mère. Il existe de nombreuses similitudes entre les microbiotes maternels, notamment en termes de grandes familles bactériennes. Cependant, le lait de chaque mère a une composition bactérienne différente, notamment en termes d’espèces bactériennes.
Le lait maternel subit des variations en fonction de plusieurs facteurs tels que l’alimentation, l’âge, la prise de médicaments, les modifications hormonales, la prise de poids de la mère pendant la grossesse, ou encore son mode d’accouchement [1]. De plus, le lait abrite un microbiote transitoire et dynamique qui évolue en plusieurs étapes. En effet, entre le jour de l’accouchement et les deux mois qui le suivent, sa composition bactérienne change en quelques semaines et il s’enrichit en calcium et potassium et s’appauvrit en sodium et magnésium. À partir de deux semaines après l'accouchement, le lait est considéré comme pleinement mature en termes de nutriments mais sa composition bactérienne continue d’évoluer [2].
Le lait maternel, la meilleure alimentation du nourrisson
Le lait maternel contient des glucides, protéines et lipides en grande quantité. Parmi les glucides, les oligosaccharides sont des molécules très importantes qui représentent le troisième composant le plus abondant du lait, après le lactose et les lipides, et permettent de nourrir les communautés bactériennes du tractus gastro-intestinal du nourrisson. De plus, certains oligosaccharides jouent un rôle important dans la prévention des infections gastro-intestinales du nourrisson et présentent des propriétés antibactériennes [2].
Le microbiote du lait maternel contient des éléments importants pour le développement de la barrière intestinale du nourrisson. Un exemple de l'importance du microbiote du lait maternel est sa capacité à réguler la "réaction de sevrage''. La réaction de sevrage est une réponse physiologique immunitaire à la colonisation du microbiote au cours du développement. Cette réaction permet d’instruire ou de calibrer le système immunitaire du nouveau-né. Le lait maternel joue un rôle important dans l'établissement de cette réaction à travers certaines protéines, comme le facteur de croissance EGF [3-4].
Des chercheurs de l’Institut Pasteur et de l’Inserm ont montré que chez les nouveau-nés, le microbiote intestinal est d’abord “formaté” par les composants du lait maternel. Lors de la diversification alimentaire, il se développe et de nombreuses bactéries prolifèrent. Par la suite, l’introduction de nourriture solide entraîne la maturation du microbiote intestinal et une réponse immunitaire importante. Cette réaction immunitaire est essentielle car elle participe à l’éducation du système immunitaire, et permet, à l’âge adulte, une faible susceptibilité aux maladies inflammatoires (maladies auto-immunes, cancer) [4].
Les avantages associés à l'allaitement maternel comprennent la protection contre les agents pathogènes, un meilleur développement immunitaire, une nutrition complète et une diminution du risque de maladies gastro-intestinales et de diarrhées dans certains pays émergents. Des études ont prouvé que les enfants nourris au sein présentent un risque réduit de maladies chroniques telles que les allergies, l'asthme, le diabète et l'obésité pendant l'enfance et la vie adulte [5].
Le lait maternel, un risque potentiel méconnu ?
A présent, vous pourriez vous dire que le lait maternel est parfait. Mais attention, c’est un peu plus compliqué ! Nous venons de voir que le lait maternel possède un microbiote donc des micro-organismes et notamment des bactéries qui sont généralement bénéfiques. Un nourrisson de 3 mois consomme par jour environ 800 mL de lait correspondant environ à 104 - 106 bactéries [6]. Il faut imaginer un bébé pesant environ 5 kg et recevant tout ce lait maternel et donc toutes ces bactéries au quotidien.
Les nourrissons ont un système immunitaire immature. Le lait maternel peut aussi occasionnellement devenir une source d’infections pour eux. Par exemple, une étude a mis en évidence une épidémie nosocomiale (issue de l’hôpital), d’une bactérie nommée Escherichia coli et pouvant être dangereuse en cas d’infection, chez six nouveau-nés qui avaient tous reçu du lait de la même mère [7].
Le lait maternel comme traitement médical
Le lait maternel, ami ou ennemi ? Tout est question d'équilibre !
Il existe encore de nombreuses inconnues quant à la composition exacte du lait maternel. A l’instar du microbiote intestinal très prometteur, le microbiote du lait maternel pourrait représenter une source de nouveaux traitements.
De nos jours, des bactéries sont déjà utilisées en tant que complément alimentaire pour leur rôle de probiotique. Les probiotiques ont été définis en juillet 2002 par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture et l’Organisation Mondiale de la Santé comme « des microorganismes vivants qui, lorsqu’ils sont consommés en quantités adéquates, produisent un bénéfice pour la santé de l’hôte ». Les plus fréquemment retrouvés sont des bactéries appelées lactobacilles (du genre Lactobacillus) communément rencontrées dans les yaourts, les fromages ou le vin.
Des équipes de recherche ont réussi à isoler la bactérie Lactobacillus reuteri du lait maternel et ont démontré ses bienfaits sur la santé, tels que son activité antibactérienne, sa capacité à inhiber la prolifération d’agents pathogènes dans l'intestin du nourrisson, l'amélioration de la tolérance à l'alimentation et l'amélioration de l'absorption des nutriments, des minéraux et des vitamines, ce qui en ferait un possible traitement médical. L'une des illustrations les plus notables de l'efficacité de L. reuteri comme probiotique contre les infections est son utilisation pour traiter les infections de l’estomac par Helicobacter pylori. L'infection par H. pylori est une cause majeure de gastrite chronique et d'ulcères gastriques, ainsi qu'un facteur de risque de tumeurs malignes gastriques. L'utilisation de L. reuteri contre H. pylori a été explorée dans de nombreuses études : L. reuteri agit en entrant en compétition avec H. pylori et en inhibant sa liaison aux récepteurs. Cette compétition réduit la charge bactérienne de H. pylori et diminue les symptômes associés. L. reuteri est avantageux dans le traitement de H. pylori car la supplémentation éradique l'agent pathogène sans provoquer les effets secondaires courants associés aux traitements antibiotiques [8]. La bactérie L. reuteri s'est également avérée efficace lorsqu'elle a été administrée à des enfants, entraînant une diminution de la durée et de la fréquence des diarrhées infectieuses et des infections respiratoires [9].
Le rôle du microbiote du lait maternel reste encore à approfondir mais les premiers résultats des équipes de recherche sont encourageants pour parvenir à comprendre son action sur notre développement et sur notre santé à long terme..
Références
1. Cabrera-Rubio, R et al. (2012). The human milk microbiome changes over lactation and is shaped by maternal weight and mode of delivery. The American Journal of Clinical Nutrition. https://doi.org/10.3945/ajcn.112.037382
2. Katríona, E. Lyons et al. (2020). Breast Milk, a Source of Beneficial Microbes and Associated Benefits for Infant Health. Nutrients. https://doi.org/10.3390/nu12041039
3. Kalbermatter, C et al. (2021). Maternal Microbiota, Early Life Colonization and Breast Milk Drive Immune Development in the Newborn. Front. Immunol. https://doi.org/10.3389/fimmu.2021.683022
4. Al Nabhani, Z et al. (2019). A Weaning Reaction to Microbiota Is Required for Resistance to Immunopathologies in the Adult. Immunity. https://doi.org/10.1016/j.immuni.2019.02.014
5. Klopp, A et al. (2017). Modes of infant feeding and the risk of childhood asthma: A prospective birth cohort study. The Journal of Pediatrics. https://doi.org/10.1016/j.jpeds.2017.07.012
6. Heikkilä, MP et al. (2003). Inhibition of Staphylococcus aureus by the commensal bacteria of human milk. Journal of Applied Microbiology. https://doi.org/10.1046/j.1365-2672.2003.02002.x
7. Nakamura, K et al. (2016). Outbreak of extended-spectrum β-lactamase-producing Escherichia coli transmitted through breast milk sharing in a neonatal intensive care unit. Journal of Hospital Infection. https://doi.org/10.1016/j.jhin.2015.05.002
8. Mu, Q et al. (2018). Role of Lactobacillus reuteri in Human Health and Diseases. Frontiers in Microbiology. https://doi.org/10.3389/fmicb.2018.00757
9. Gutiérrez-Castrellón, P et al. (2014). Diarrhea in preschool children and Lactobacillus reuteri: A randomized controlled trial. Pediatrics.https://doi.org/10.1542/peds.2013-0652
Cet article a été édité par Dr. Fabien Guendel Rojas et révisé par Emile Auria. Traduit de l'anglais par Emile Auria.
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