Les micro-organismes s’organisent en communautés dynamiques, fondamentales à la vie telle que nous la connaissons. Cet article s’intéresse de plus près aux effets que le changement climatique induit par les humains pourrait avoir sur la structure et le fonctionnement de ces communautés essentielles.
Les microbes dominent le monde. Impliqués dans des cycles biogéochimiques essentiels à la vie sur Terre, ils produisent la majeure partie de l’oxygène sur notre planète et dégradent nombre important des composés nuisibles que nous générons tous les jours. Ce ne sont là qu'une partie des tâches que les microbes réalisent pour nous chaque jour et qui nous sont indispensables. J'ai appris cela à l'université en étudiant la biologie marine; j'en suis restée épatée.
Ces organismes microscopiques sont les véritables fondateurs de la vie telle que nous la connaissons, même si elle subit aujourd'hui un grand changement climatique causé par l'activité humaine. En tant qu’écologiste microbienne, je prends conscience maintenant que ces microbes vitaux et peu connus ne sont pas invincibles et que nous avons encore des lacunes lorsqu'il s'agit d'évaluer l'impact du changement climatique à leur sujet.
Les discussions sur le changement climatique sont souvent centrées autour de phénomènes météorologiques extrêmes, de l’augmentation du niveau de la mer ainsi que des taux de dioxyde de carbone (CO2). L’ensemble de ces éléments affecte négativement la macrofaune et flore: les plantes et les animaux visibles à l'œil nu. En revanche, bien qu’ils soient à la base de plusieurs réseaux trophiques et cycles biogéochimiques importants, les microorganismes sont souvent négligés 1.
Microbiomes
Dans l’intestin de chaque animal et dans tout coin de sol vit une communauté microbienne complexe : le microbiote. Depuis peu, les chercheurs portent davantage d’attention sur les effets du changement climatique sur ces communautés, et heureusement ! Deux récentes publications ont dévoilé l’étendue de l’impact du changement climatique sur les communautés microbiennes dans le sol et les animaux.
Enfouis sous terre, les microorganismes des sols sont les moteurs de cycles biogéochimiques terrestres importants. Ils métabolisent des nutriments que d’autres organismes ne peuvent transformer, et dont les sous-produits intègrent le réseau trophique en nutriments prêts à l’usage par les plantes et les animaux, leur permettant ainsi de prospérer. Par ailleurs, les microbes des sols sont aussi capables de métaboliser des gaz à effet de serre, tels que le CO2 et le méthane. Dans ce sens, ces communautés microbiennes pourraient aider à réduire les taux de ces gaz dans l’atmosphère. En revanche, cela veut dire qu’ils pourraient aussi en devenir des sources potentielles. Selon les modèles climatiques, toute augmentation des niveaux de CO2, de température, de pluie et d’inondations pourrait déséquilibrer la balance entre le taux de gaz à effet de serre absorbé et rejeté par ces microorganismes. Les sols deviendraient ainsi une source additionnelle de CO2, dont les changements altéreraient les communautés microbiennes qui y vivent, perpétuant la boucle de perturbations de cycles biogéochimiques essentiels à la vie 2.
Les communautés microbiennes associées aux animaux seront aussi affectées de façon néfaste par le changement climatique. Ces microbiotes jouent des rôles essentiels dans la santé de leurs hôtes 4, 5. Récemment, une étude innovante s’est penchée sur les effets qu’aurait une augmentation de température sur l’ensemble d’un écosystème. Les chercheurs ont suivi l’évolution de trois communautés microbiennes autour d’un bromélia, plante à fleurs aquatique : 1) les bactéries dans l’eau environnante; 2) les arthropodes aux alentours; et 3) les bactéries dans les intestins des têtards vivant à proximité 6. Dans ce modèle, les températures accrues ont affecté la communauté d’arthropodes, ainsi que les bactéries dans l’eau entourant la plante. Ensemble, ces changements ont abouti à un retard de croissance des têtards, dont le microbiote intestinal a été perturbé. Les chercheurs ont souligné que cette dysbiose – perturbation du microbiote intestinal – est associée à un risque accru de maladie chez les animaux.
Les données dont nous disposons aujourd’hui montrent sans équivoque que le changement climatique perturbera les organismes, petits comme grands, à tous les niveaux du vivant. Les effets du changement climatique sur les communautés microbiennes des sols et des animaux devraient nous préoccuper au même titre que ceux associés à l’augmentation du niveau de la mer et aux phénomènes météorologiques extrêmes. En touchant les microbiotes des sols, l’augmentation de température pourrait déclencher une cascade de perturbations sur l’ensemble du réseau trophique.
References
1. Cavicchioli, R. et al. (2019) Scientists’ warning to humanity: microorganisms and climate change. Nat Rev Microbiol https://doi.org/10.1038/s41579-019-0222-5
2. Jansson & Hofmockel (2020) Soil microbiomes and climate change. Nature Reviews https://doi.org/10.1038/s41579-019-0265-7
3. Pecl et al. (2017) Biodiversity redistribution under climate change: Impacts on ecosystems and human well-being. Science https://doi.org/10.1126/science.aai9214
4. McFall-Ngai et al. (2017) Animals in a bacterial world, a new imperative for the life sciences. PNAS Perspectives https://doi.org/10.1073/pnas.1218525110
5. Gilbert, Sapp, & Taupper (2012) A symbiotic view of life: We have never been individuals. Q Rev Biol https://doi.org/10.1086/668166
6. Greenspan et al. (2020) Warming drives ecological community changes linked to host-associated microbiome dysbiosis. Nature Climate Change https://doi.org/10.1038/s41558-020-0899-5
Cet article a été édité par le spécialiste Dr. Jake Wintermute et révisé par Cassandra Koh. Traduit de l'anglais par Yann Aquino
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