Avec la création de plus en plus de start-ups scientifiques et pharmaceutiques à travers le monde, l’accélération furieuse de la révolution biotech évoque la croissance de la Silicon Valley il y a 50 ans. Nous, jeunes scientifiques, sommes sûrement les plus à même d’apporter nos connaissances et nos idées en première ligne.
Cet article a été écrit en collaboration avec JongEun Ihm.
En 2003, Elizabeth Holmes, jeune décrocheuse de Stanford, avait pour but de créer un appareil de dépistage sanguin à domicile capable d’effectuer des centaines de tests de qualité de laboratoire à partir d’une simple goutte de sang prélevée au bout du doigt. Face aux doutes des scientifiques les plus expérimentés dans le domaine sur la faisabilité de son projet, et n’ayant ni vrai bagage scientifique ni formation en méthodologie de la recherche, Holmes a pourtant décidé de lancer le développement du produit. Après avoir fabriqué de fausses données, méprisé les critiques de son équipe, et menti à ses investisseurs, le projet a échoué et Holmes a été condamnée pour fraude.
La principale leçon à tirer de l’histoire de Holmes est que, bien qu'un bagage scientifique solide ne soit pas indispensable à la conception d’une start-up en biotech, il reste toutefois important pour le succès de celle-ci. Aujourd’hui, la plupart des compagnies biotech fructueuses sont basées sur un fond de recherche rigoureuse, effectuée par des scientifiques bien formés. De plus, ces compagnies mettent aussi l’accent sur l’importance du travail en équipe et de l’intégrité, toutes deux qualités intrinsèques de la formation scientifique.
Le transfert des technologies de la recherche académique vers l’industrie peut avoir des impacts directs et profonds. Cependant, peu de jeunes scientifiques se lancent dans l’entrepreneuriat, même s’ils possèdent les capacités nécessaires pour réussir. Pourquoi est-ce le cas ? Comment pouvons-nous cultiver l’esprit entrepreneurial des jeunes chercheurs, afin d’améliorer notre quotidien ? Quels sont les risques à prendre en compte avant de se lancer ? A quoi ressembleront les biotechnologies dans le futur ?
Les bienfaits de la formation à l'entrepreneuriat en académie
Bien que l’industrie des biotechnologies soit en bonne santé financière, le manque de jeunes talents scientifiques a rendu le système peu dynamique. Cette carence est largement due au fait que les jeunes scientifiques ne savent pas transformer leurs carrières académiques en carrières industrielles. Selon une étude de Nature Biotechnology effectuée en 2020 sur 300 doctorants et post-doctorants, presque 80 % des conseils de carrière que les jeunes chercheurs ont reçus de leurs superviseurs se limitaient strictement au milieu académique. Plus de 35 % des étudiants ont dit “méconnaître leurs options", ou encore ressentir “un manque de soutien” (1). Bien que la plupart des jeunes chercheurs soient encouragés à poursuivre des carrières scientifiques, la plupart échoue : moins de 1 % des titulaires d’un doctorat deviennent professeurs (2).
La dynamique de transition entre académie et industrie dépend aussi du pays. Tandis que l'entrepreneuriat est devenu un choix plus courant parmi les scientifiques en début de carrière aux Etats-Unis, une étude visant l’engagement dans l’industrie au Royaume Uni et en Allemagne montre que l’Europe est en retard sur le transfert des technologies en termes de jeunes talents. Dans ces pays européens, les scientifiques qui migrent vers l’industrie, surtout des hommes, ont tendance à le faire plus tard dans leur carrière, ayant acquis une certaine réputation et ayant accès à davantage de ressources et de capital (3).
Pour favoriser la concurrence et faire avancer le transfert des technologies, plusieurs institutions ont intégré des cours d'entrepreneuriat dans leurs cursus. Par exemple, l’Université de Paris propose un double diplôme en sciences biomédicales et en management. L’Institut Pasteur, une fondation privée à fonds publics, a récemment commencé son propre programme de formation à l'entrepreneuriat, spécifiquement à l’attention des scientifiques en début de carrière (4). Encourager ainsi le transfert des technologies vers l’industrie aurait un effet positif sur l’impact sociétal de la recherche fondamentale et sur la réputation des instituts de recherche. Pour les jeunes scientifiques, cela ouvrirait aussi des opportunités de carrière plus flexibles. On se retrouve donc souvent dans une situation gagnant-gagnant.
Tendances actuelles dans les start-ups et les biotechnologies
Même avec une formation professionnelle et sous supervision, fonder une start-up n’est pas une mince affaire. De prime abord, toutes les start-ups débutent sur une même question : De quoi a le monde besoin qui n’existe pas déjà ? Une fois la réponse trouvée, l’entrepreneur doit ensuite convaincre des investisseurs que son idée est innovante et nécessaire, mais aussi faisable avec les moyens techniques et financiers disponibles.
Cependant, une telle idée ne garantit pas le succès. On estime que 90 % des start-ups échouent à cause d’un “manque d’intérêt des consommateurs pour le produit ou le service”, ou encore à cause de “problèmes de liquidité ou de fonds” (5)(6). Ces problèmes sont souvent plus accrus dans l’industrie des biotechnologies. Souvent, les scientifiques qui étudient des problèmes de niche ont du mal à généraliser leurs connaissances pour répondre à des problématiques plus larges, ce qui constitue un critère essentiel pour obtenir des financements. De plus, la recherche et le développement en biotech nécessitent un grand capital au départ. Les chercheurs doivent être payés ; les consommables sont souvent onéreux ; et les expériences scientifiques passent souvent par plusieurs échecs avant d’être concluantes. La recherche scientifique progresse inévitablement par essais et erreurs ; cette caractéristique intrinsèque se reflète par une efficacité plus faible en termes de temps et de coûts. En conséquence, le développement de produits biotechnologiques peut être plus ardu et risqué comparé aux procédés des start-ups purement technologiques.
Tout de même, les start-ups biotech fructueuses existent bel et bien. Elles révolutionnent la médecine et réinventent notre rapport aux soins de santé, tout en amassant des fortunes. Par exemple, la start-up pharmaceutique EQRx, fondée en 2019, a déjà accumulé plus de 20 millions de dollars en bénéfices, et ORNA Therapeutics a obtenu plus de 100 millions de dollars pendant sa collecte de fonds initiale.
L’avancée rapide des technologies et la conscience entrepreneuriale grandissante des jeunes chercheurs ont fait exploser l’investissement dans la santé digitale et les start-ups en biotech. En 2020, l’investissement total dans la santée digitale a atteint les 14.9 milliards de dollars. En 2021, ce chiffre a presque doublé, atteignant les 29 milliards de dollars avec plus de 700 marchés conclus au niveau mondial. Le secteur Recherche et développement a bénéficié de la plus grosse part de cet investissement. Les sujets de recherche les plus favorisés ont été ceux relatifs à la santé mentale, au diabète et aux maladies cardiovasculaires (7).
Même si cet emballement financier s’est calmé en début d’année 2022, les évaluations des start-ups pré-existantes n’ont cessé de croître par rapport à leurs respectives collectes de fonds précédentes. Ceci suggère que le secteur entier est toujours sain et en croissance. Une science rigoureuse, combinée avec un management prudent, peut amener à des récompenses qui sont à la hauteur des risques élevés associés au développement d’une start-up en biotech.
Le futur de la révolution biotech
Au niveau mondial, on s’attend à ce que le poids de l’industrie des soins de santé dépasse les 10 mille milliards de dollars courant 2022. Le taux d’adoption de l’intelligence artificielle (IA) au sein des cadres opérationnels des start-ups en biotech et bio-médicales a augmenté de plus de 600 % au cours des cinq dernières années, et ne cesse de croître (8). Une autre tendance claire est celle qui pousse les services cliniques et de soins de santé à devenir davantage personnalisés et moins formels. L’accès aux kits de dépistage à domicile, aux appareils paramédicaux portables et au suivi biométrique à distance s’est démocratisé avec la diminution des coûts des gadgets technologiques et avec l’augmentation de la puissance de l’IA.
Pour continuer à progresser, la révolution biotech nécessite de nouvelles recrues, de jeunes talents passionnés. Si beaucoup d’étudiants se sentent ancrés dans le système académique traditionnel, il est important de garder en tête que la voie de l’entrepreneuriat reste ouverte pour les jeunes chercheurs volontaires. Pour ceux-là : il n’est jamais trop tôt pour démarrer l’aventure. Il faut entre 1 et 1.5 ans pour transiter de la recherche académique à l’industrie. Il convient donc de commencer à réfléchir à sa carrière dès la fin de la première année de Master, voire doctorat (1). Arrivés à ce niveau d’études, la plupart des jeunes chercheurs ont suffisamment d’expérience professionnelle pour savoir si un parcours dans la recherche académique leur conviendrait et, le cas échéant, quelles aptitudes ils auraient besoin de développer pour changer de voie.
La deuxième année de thèse est donc le moment approprié pour développer ces capacités et pour participer à des événements de réseautage dans le monde de l’industrie. L’interaction avec des acteurs du secteur industriel, et spécialement avec ceux ayant immigré de l’académie, peut être un atout précieux pour établir des contacts et mieux appréhender un potentiel futur industriel. Il est essentiel de rester passionné et optimiste, même quand les choses ne suivent pas le cours prédit. Se lancer dans l’entrepreneuriat nécessite une grande vocation et vision, mais il est aussi bien de prendre le temps de réexaminer la situation pour prendre les meilleures décisions.
L’une des causes majeures de l’échec d’Elizabeth Holmes est son manque de formation scientifique rigoureuse. Mais les jeunes scientifiques ont déjà assez d’expérience pour s’aventurer dans l’entrepreneuriat en biotech ; alors ne vous laissez pas arrêter par un sentiment d’illégitimité. Intégrer l’industrie des biotechnologies peut être intimidant et paraître risqué, mais avec beaucoup d’huile de coude, une bonne mentalité, un jugement posé, et juste ce qu’il faut de chance, vous pourriez être le prochain révolutionnaire.
Références
1. Gehr, S., Garner, C. C., & Kleinhans, K. N. (2020). Translating academic careers into industry healthcare professions. Nature biotechnology, 38(6), 758-763.
2. Royal Society (Great Britain). (2010). The scientific century: securing our future prosperity. Royal Society.
3. Haeussler, C., & Colyvas, J. A. (2011). Breaking the ivory tower: Academic entrepreneurship in the life sciences in UK and Germany. Research policy, 40(1), 41-54.
4. Le Bureau “Startup Awareness”, Institut Pasteur, 2022.
5. Embroker, Review 42, U.S. Bureau of Labor Statistics, Small Business Trends, Skill vs. Luck in Entrepreneurship and Venture Capital, 2022.
6. Griffith, E. (2014). Why startups fail, according to their founders. Fortune Magazine, September, 25.
7. Krasniansky, A., Evans, B., & Zweig, M. (2022). 2021 year-end digital health funding: Seismic shifts beneath the surface. Rockhealth Insights.
8. Byers, K. (2022). 8 Key Healthcare Trends. Exploding Topics.
Cette article a été édité par Devon Conti. Traduit de l'anglais par Yann Aquino.
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