Quels sont les points communs entre un thésard et un lapin ? Et entre un Professeur des Universités et un ours ?
Il y a deux mille cinq cents ans, le grec Platon enseignait la philosophie dans un bosquet appelé Akadémeia. C’est ce petit bois, ainsi nommé en l’honneur du héros grec Akademos, qui est à l’origine du mot Académie. Cependant, vingt-cinq siècles après, on lui attribue des sens qui s’étendent au-delà d’un groupe de sages barbus conférant de métaphysique. Académie désigne aujourd’hui un écosystème hypercomplexe de professeurs, étudiants, thésards, chefs d’unité de recherche, instituts de recherche et universités. Tous ces acteurs dédient leur carrière à la recherche et à l’expansion des connaissances humaines. Mais qu’entendons nous vraiment par académie? Comment fonctionne-t-elle ?
Pour comprendre comment l’académie est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, il faut prendre une perspective historique. L’une des avancées les plus significatives découlant des enseignements de Platon a été la création des cinq universités les plus anciennes au monde, situées à Bologne (Italie), Oxford (Royaume-Uni), Salamanca (Espagne), Paris (France) et Cambridge (Royaume-Uni). Ces cinq universités, ainsi que d’autres fondées ultérieurement, ont participé à établir les bases de l’acquisition, du maintien et de la transmission des connaissances. Depuis, le fonctionnement de l’académie est basé sur un système hiérarchique défini par deux grands facteurs : la longévité du curriculum académique d’un individu et le niveau d’expérience qu’il a atteint dans son domaine. C’est cette hiérarchie qui détermine le poids d’un individu au moment d’attribuer des responsabilités dans l’acquisition, la maintenance et la transmission de connaissances dans son domaine.
En simplifiant le fonctionnement du complexe monde académique, cette hiérarchie actuelle peut être résumée en six statuts : (i) étudiants de premier et second cycle qui ne peuvent candidater à un projet de thèse mais qui peuvent participer à la recherche sous supervision étroite, (ii) étudiants en thèse qui mêlent formation et recherche encadrée, (iii) techniciens qui exécutent des tâches de recherche précises sous la direction d’un chercheur, (iv) chercheurs post-doctoraux qui mènent leurs projets de recherche de façon plus indépendante, (v) chercheurs permanents avec des contrats à plein-temps et à durée indéterminée au sein d’une unité de recherche dont ils ne sont pas directeurs, et (vi) chefs d’unités de recherche ou professeurs qui gèrent et dirigent des unités de recherche dans des instituts et universités, respectivement.
Bien que cette organisation puisse varier en fonction des pays, l’évolution des carrières de recherche dans la hiérarchie suit généralement un format commun : les étudiants de premier cycle rejoignent un Master afin de se spécialiser dans un domaine particulier et, une fois leur diplôme obtenu , ils peuvent candidater à un projet de thèse. Après la soutenance de thèse, ceux qui souhaitent continuer à travailler dans l’académie candidatent à des contrats post-doctoraux (post-docs) pour développer un projet de recherche de façon autonome. Après un ou plusieurs post-docs, à travers lesquels ils auront accru leur liste de publications ainsi que les connaissances spécifiques à leurs domaines et nécessaires pour mener des projets de recherche de façon indépendante, ils candidatent à des postes de chercheur permanent ou de responsable de recherche (chef d’unité ou professeur). S’il existe des niveaux hiérarchiques intermédiaires, tels que le poste de technicien, qui permettent de stabiliser la progression de sa carrière, un parcours académique ‘classique’ se termine avec un poste permanent en tant que chef d’unité ou professeur jusqu’à l’âge de la retraite.
Comme n’importe quel écosystème hiérarchique du monde naturel, l’académie peut être représentée par une pyramide écologique (Figure 1) dans laquelle on peut trouver des sources de production scientifique (principalement les étudiants, techniciens, thésards, chercheurs permanents et post-docs) et des ‘consommateurs’ de recherche (principalement les chefs d’unité, professeurs, instituts de recherche et universités). Ceci crée d’intéressants flux de connaissance (la ‘biomasse’) qui aident (i) à maintenir les niches écologiques et (ii) à pérenniser l’écosystème. Ce concept peut être illustré par l’exemple suivant : le travail d’un étudiant de premier ou second cycle peut produire des données préliminaires qui deviendront le socle d’un projet de thèse. Une partie de la connaissance produite par le projet de thèse sera éventuellement publiée et aidera le chef d’unité à enrichir ses demandes de financement. Ces financements soutiendront à la fois le chef d’unité, mais aussi le budget de l’institution qui accueille l’unité (université ou institut de recherche). Grâce à cet argent, le chef d’unité pourra également recruter d’autres étudiants en thèse ou post-docs pour contribuer au cycle avec de la production scientifique directe ou de la supervision d’autres étudiants.
Figure 1: Représentation métaphorique de la pyramide écologique appliquée au monde académique
Cependant, la pyramide écologique académique n’a pas une pente continue, comme dans cette illustration. Elle comporte deux grands goulots d’étranglement : la transition entre le second cycle et la thèse, avec seulement 5 % de soutenances de thèse réussies en France 1 ; et la transition vers les postes de chef d’unité et professeur, réussie par seulement 12,8 % des docteurs 2. Il s’agit d’une caractéristique partagée avec les écosystèmes naturels ; les niveaux supérieurs de la chaîne trophique sont souvent bien plus étroits que les niveaux inférieurs. Un contraste évident entre notre métaphore et la pyramide écologique classiq
ue est que les chefs d’équipe et professeurs ne mangent généralement pas leurs étudiants, mais les forment à de nouvelles compétences pouvant servir au développement de leurs carrières. La durée des différents postes est aussi assez variable ; un poste permanent peut durer jusqu’à 20 ans en moyenne 2, soit 4 fois plus que le délai moyen pour l’obtention des diplômes des premier et second cycles (approx. 5-6 ans), pour terminer un doctorat (approx. 3-5 ans) ou un post-doc (approx. 3-6 ans).
Il y a encore deux autres acteurs ayant des rôles essentiels dans l’académie d’aujourd’hui : les instances de financement et les sociétés d’édition d’ouvrages scientifiques. D’un côté, les instances de financement (qu’il s’agisse d’agences publiques ou d’institutions privées) fournissent à l’écosystème académique le support économique indispensable à leurs activités. De l’autre côté, les sociétés d’édition contribuent au système de révision par les pairs, capitalisent sur les articles de recherche produits par le personnel académique et les publient dans leurs journaux pour que la connaissance soit partagée.
Aujourd’hui, le rôle des fonds publics dans le maintien des activités de recherche publique est généralement admis comme nécessaire. Cependant, à l’ère d’Internet, le rôle des compagnies privées dans la transmission des connaissances fait débat. Cette discussion est principalement animée par les faits suivants 3 :
le personnel académique doit payer pour publier ses travaux ;
ils doivent aussi payer pour accéder aux articles publiés, y compris les leurs ;
ils organisent le système de révision par les pairs, et cela gratuitement ;
ils examinent les publications de leurs pairs de façon gratuite.
Suivant la métaphore de la pyramide écologique, on pourrait se demander si les sociétés d’édition scientifiques sont des pigeons voyageurs qui transmettent des messages au sein de l’académie, ou bien des rapaces qui bénéficient de leur position.
Finalement, nous devons nous questionner sur l’organisation actuelle de l’académie en pyramide hiérarchique, ainsi que sur les avantages et désavantages d’un tel système pour l’expansion des connaissances humaines et la dépense efficiente des fonds publics. Un système comme celui-ci récompense le mérite académique avec des postes de haut niveau pour promouvoir la recherche de haute qualité. Cependant, ce genre de système peut aussi empêcher l’inclusion de nouvelles idées dans la sphère académique. Comme l’écosystème s’auto-perpétue et que les postes de haut niveau sont responsables d’évaluer les postes inférieurs, des idées innovantes potentiellement révolutionnaires peuvent ne pas être retenues. On pourrait même dire, preuves à l’appui 4, que les idées qui sortent des modèles scientifiques actuels ont une fitness, ou une probabilité de survie en académie, plus basse que les idées qui appuient des théories scientifiques mieux établies. Comme il est plus probable que des idées innovantes sortent d’esprits jeunes et créatifs moins encombrés par des paradigmes, soutenir les jeunes chercheurs augmentera la qualité de la production scientifique 5.
Il faut aussi noter que la métaphore de la pyramide écologique n’a pas vocation à décrire l’ensemble du monde complexe de la recherche, mais à créer une conscience et à améliorer nos connaissances sur le fonctionnement de ce système. Pour le personnel académique, comprendre le fonctionnement du système est important afin d’évaluer s’il marche correctement et de considérer de potentielles améliorations. Pour les instances de financement, une conscience de ce fonctionnement pourra permettre de mieux appréhender et soutenir des idées innovantes face aux défis du 21e siècle. Pour la société, il est aussi important de comprendre ce qu’est vraiment l’académie et comment elle fonctionne. En réfléchissant ensemble aux fonctions de l’académie, nous pouvons tous contribuer à façonner une société plus critique et sage.
Références
1. Sous-direction des systèmes d’information et des études statistiques (SIES) - ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Paris). (2017) PhDs and PhD graduates. L'état de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France. https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/10/EESR10_R_38-le_doctorat_et_les_docteurs.php
2. Larson, R.C. et al. (2014) Too Many PhD Graduates or Too Few Academic Job Openings: The Basic Reproductive Number R0 in Academia. Syst. Res. Behav. Sci. https://doi.org/10.1002/sres.2210
3. Aczel, B., et al. (2021) A billion-dollar donation: estimating the cost of researchers’ time spent on peer review. Res. Integr. Peer. Rev. https://doi.org/10.1186/s41073-021-00118-2
4. Chu, J.S. et al. (2021) Slowed canonical progress in large fields of science Proc. Natl. Acad. Sci. USA https://doi.org/10.1073/pnas.2021636118
5. Vale, R.D. (2015) Accelerating scientific publication in biology. Proc. Natl. Acad. Sci USA . https://doi.org/10.1073/pnas.1511912112
Cet article a été édité par le spécialiste Nathalie Court-Lecuyer & Dr Mariana Mesel-Lemoine et révisé par Carys Croft. Traduit de l'anglais par Yann Aquino.
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