Le ris de veau, façon système immunitaire
- Cécile Apert
- 2 hours ago
- 6 min read
Voici une recette pour éduquer les cellules du système immunitaire à éliminer correctement les virus ou bactéries qui nous attaquent tout en ignorant nos propres cellules. L’ingrédient principal? C’est le thymus, tout comme pour le ris de veau!

Et si je vous demandais de citer quelques organes présents dans votre cage thoracique ? Facile ! Le cœur, bien sûr, on l’entend cogner parfois, les poumons aussi…Et le thymus, ça vous parle ? Non. Le ris de veau alors ?! Peut-être avez-vous mangé ce plat sans savoir qu’il était fait avec du thymus de veau… une info de plus pour briller en société ! Eh oui, tout comme les veaux, et d’ailleurs à peu près tous les mammifères, nous avons dans notre cage thoracique, juste au-dessus du cœur, un organe appelé le thymus. Mais alors, à quoi sert-il ? Pourquoi mange-t-on du ris de veau, et non du ris de bœuf ?
Le thymus est tout simplement l’école primaire pour les cellules du système immunitaire, là où elles apprennent les leçons fondamentales à leur future vie. Cet organe fait partie, comme la moelle osseuse, des organes lymphoïdes dits primaires. La plupart des globules blancs sont produits par notre moelle osseuse à partir de cellules souches, c'est-à-dire les cellules mères de toutes les cellules. Certains nécessitent ensuite de transiter par le thymus pour y être éduqué avant de pouvoir migrer vers des postes avancés, les ganglions et la rate, des organes lymphoïdes dits secondaires, où ils seront prêts à nous défendre contre des attaques extérieures (ex. : bactéries, virus).
Parmi ces globules blancs, on trouve les lymphocytes T (je vous laisse deviner pourquoi « T »), particulièrement importants pour nous défendre spécifiquement contre ces invasions extérieures et qui ont la particularité de porter la mémoire immunitaire. En d’autres mots, si un lymphocyte T a rencontré un pathogène une fois, il le gardera en mémoire et pourra permettre au système immunitaire de se défendre plus efficacement la fois suivante. Vous l’aurez compris, c’est le principe que cherchent à atteindre les vaccins : le lymphocyte T apprend à reconnaître le virus ou la bactérie grâce au vaccin, composé d’éléments inoffensifs du pathogène, et pourra, lors d’une infection réelle, répondre plus rapidement et plus efficacement, et ainsi nous protéger.
Avant de pouvoir rencontrer des pathogènes et faire face à des infections, les lymphocytes T doivent passer par une sélection très stricte qui se déroule dans le thymus. Les cellules provenant de la moelle osseuse arrivent dans le thymus dont le but est de générer des lymphocytes T qui, idéalement, pourraient reconnaître n’importe quel corps étranger qui risquerait de nous nuire. Facile diront les généticiens : il n’y a qu’à donner un bras à ces cellules qui pourrait être muté à l’infini pour pouvoir reconnaître la main de n’importe quel inconnu. Ce bras utilisé par les lymphocytes T s’appelle le TCR (pour Récepteur des Cellules T) et comprend une partie variable qui peut être modifiée quasiment à l’infini lors de la première étape de développement du lymphocyte T dans le thymus. On parle de modification génétique permettant, mathématiquement parlant, de créer 1015 possibilités de TCR différents .Pour vous donner une idée de ce que représente cette diversité : c’est 100 000 fois plus que d’humains sur terre. Mathématiquement seulement, car en réalité certaines de ces possibilités ne peuvent pas exister - pour des raisons de conformation principalement. C’est un peu comme des legos.Les possibilités sont infinies mais parfois votre construction ne tient tout simplement pas et s’écroule.
Mais ce n’est pas tout ! Le TCR ne doit pas seulement avoir une structure qui tienne la route. Il doit également être capable de reconnaître ce qu’on lui présente. Des sentinelles parcourent notre corps et lorsque ces sentinelles, ou CPA pour cellules présentatrices d’antigènes (les immunologistes sont des férus d’acronymes, sachez-le !), reconnaissent un corps étranger elles l'apportent aux lymphocytes T. Ce n’est pas le pathogène entier qui est présenté, mais un petit bout de celui-ci, qu’on appelle antigène. Les CPA ont elles aussi un bras au travers duquel elles peuvent présenter l’antigène rencontré, celui-ci s’appelle le CMH (Complexe Majeur d’Histocompatibilité). Ainsi, un TCR doit être capable de reconnaître l’ensemble CMH-antigène. Cette reconnaissance est importante puisque c’est grâce à celle-ci que les lymphocytes T peuvent cibler leur attaque, éliminer spécifiquement l’intrus, et développer une mémoire immunitaire.
Dans le thymus, les lymphocytes T apprennent à reconnaître cet ensemble CMH-antigène ; on parle alors de la sélection dite positive. Les lymphocytes T rencontrent des cellules thymiques qui, comme les CPA, leur présentent des antigènes : s’ils sont capables de reconnaître cet ensemble, ils sont autorisés à passer à l’étape d’après. Les cellules n’ayant pas réussi cette étape sont éliminées.
Peut-être y avez-vous déjà pensé : si ces TCR sont produits aléatoirement, est-il possible qu’ils reconnaissent des antigènes issus de nos propres cellules ? Et est-ce que cela ne serait pas par hasard dangereux ? Eh bien oui… c’est tout à fait possible, et par ailleurs très dangereux puisque cela signifierait que notre système immunitaire attaquerait nos propres cellules pensant que ce sont des intrus ! C’est ce qui se passe chez les personnes atteintes de maladies auto-immunes. Pour empêcher cela, il existe une seconde étape de sélection, appelée la sélection négative. Celle-ci permet d’éliminer les lymphocytes T qui, via leur TCR, reconnaissent des molécules du soi. On appelle soi les constituants de notre corps en opposition avec le non-soi qui sont les substances étrangères à notre organisme.
À cette étape, d’autres cellules du thymus présentent les antigènes du soi aux lymphocytes T. Si le lymphocyte T reconnaît un antigène du soi, il est appelé autoréactif et est donc éliminé. On appelle également ce mécanisme tolérance centrale (car pour les thymologistes, le thymus c’est le centre, le reste du corps la périphérie… un peu comme pour les Parisiens, il y a Paris puis la province).
Si tout se passe bien, à l’issue de ces deux sélections, le thymus a produit des lymphocytes T capables de reconnaître les antigènes étrangers (ceux des bactéries et des virus) et d'ignorer ceux de notre organisme. Donc de nous défendre contre les attaques extérieures sans pour autant nous autodétruire !
Malheureusement tout n’est pas si simple ! Ce système de sélection n’est pas parfait, et certains lymphocytes T capables de reconnaître le soi s’échappent en province… pardon en périphérie. Le risque me direz-vous ? Le développement de maladies auto-immunes que je mentionnais précédemment. Comme leur nom l’indique, ce sont des pathologies où le système immunitaire se retourne contre le soi. En d’autres termes, des lymphocytes T auto-réactifs dirigent le système immunitaire contre nos organes qu’ils reconnaissent comme un ennemi à éliminer (ex. : le pancréas dans le diabète de type 1) pouvant être fatal à l’organisme en l’absence de traitements.
La bonne nouvelle est que notre corps est plein de ressources, et plusieurs mécanismes viennent contrecarrer ce risque. On parle de tolérance périphérique. L’un de ces mécanismes a lieu dans le thymus lors de la sélection négative : tous les lymphocytes T reconnaissant le soi ne sont pas éliminés. Certains entrent dans un nouveau processus de développement pour devenir des lymphocytes T régulateurs, ou Treg. Comme leur nom l’indique, les Tregs ont pour fonction de réguler les autres lymphocytes T et plus globalement les réponses immunitaires pour éviter les réponses contre le soi, mais aussi pour mettre fin à l’inflammation (donc à la réponse du système immunitaire) une fois que le pathogène est éliminé. Les Tregs sont donc essentiels pour combattre les pathologies auto-immunes, les personnes n’ayant pas de Tregs développent rapidement diverses pathologies et ont une espérance de vie très limitée.
Malgré toutes les stratégies de notre système immunitaire, certaines personnes souffrent tout de même de pathologies auto-immunes (ex. : diabète de type 1, sclérose en plaque, lupus, spondylarthrite, et bien d’autres encore). Chez ces personnes il existe une défaillance au niveau de l’un des nombreux mécanismes de tolérance. Bien que la cause exacte du déclenchement de ces défaillances ne soit pour la plupart pas encore bien connue, nous savons aujourd’hui que de nombreux facteurs entrent en jeu et participent ou favorisent leur déclenchement (facteurs génétiques, facteurs environnementaux, stress, alimentation…). Beaucoup de laboratoires de recherche se penchent sur le développement de ces pathologies. Ainsi, de nouvelles thérapies voient régulièrement le jour et permettent aux personnes atteintes d’avoir une meilleure qualité de vie.
Pour finir, un fun fact : le thymus est un organe qui régresse en taille durant votre vie. D’où le ris de veau et non un ris de bœuf ou de vache, puisque les mammifères adultes n’ont plus ou quasiment plus de thymus. Pourquoi ? Bonne question, on ne sait pas vraiment, si ce n’est que le thymus est particulièrement important durant les premières années de vie pendant lesquelles il éduque et “ envoie” en périphérie de nombreux nouveaux lymphocytes T et Tregs. C’est entre autres pour cela qu’il est particulièrement important d’avoir un bon environnement pour votre enfant durant ses premières années de vie… une bonne alimentation, une vie équilibrée, et un minimum de stress !
Remerciements:
Merci à mes collègues et amies, Ana Choï, Sophie Dulauroy, Lucette Polomack et à mon chef, Gérard Eberl, pour la relecture.
Cet article a été révisé par Marie Juzans.
Rencontrez l'auteur: Cécile Apert