Saviez-vous que les cancers étaient la seconde cause de mortalité dans le monde, après les maladies cardiovasculaires ? Cette maladie redoutée nous évoque une mauvaise hygiène de vie (sédentarité, tabac, alcool…), des agents extérieurs dangereux (pollution, pesticides, UV, amiante…), ou encore des facteurs génétiques propres aux individus. Certaines personnes songent également aux virus, tel que le papillomavirus responsable du cancer de l’utérus. Mais peu de personnes, même parmi les scientifiques, associent bactéries et cancers. Pourtant de plus en plus d’études montrent que ces micro-organismes peuvent jouer un rôle déterminant dans l’initiation ou la progression tumorale.
Depuis le début de l’année 2021, je travaille sur des toxines produites par des bactéries et susceptibles d’initier ou d’accélérer la progression tumorale. Ayant eu l’occasion de faire de la recherche en hôpital sur des essais cliniques, j’ai été particulièrement sensibilisée au développement de nouveaux traitements anticancéreux et de biomarqueurs pour prévenir ou détecter le cancer. Mieux comprendre les causes et les mécanismes à l’origine d’un cancer permettra de mieux le soigner. C’est pourquoi j’ai souhaité partager ma thématique de thèse avec vous.
Un lien entre infection bactérienne et cancer
Comme les virus, les bactéries sont invisibles à l’œil nu, et certaines espèces sont inoffensives tandis que d’autres peuvent provoquer des maladies. Mais contrairement aux virus, les bactéries n’ont pas besoin d’infecter des cellules pour se multiplier.
Au début des années 80, deux pathologistes australiens, Warren et Marshall, ont identifié la souche bactérienne Helicobacter pylori dans l’estomac de patients atteints de gastrite, une inflammation de l’estomac pouvant dégénérer en cancer, ou encore présentant un ulcère gastrique 1. Cette association entre bactérie et maladie de l’estomac a bouleversé certains dogmes en médecine et leur a valu le prix Nobel de Physiologie et de Médecine en 2005. Cette découverte a non seulement prouvé que l’estomac humain n’est pas stérile, mais a également montré pour la première fois le lien entre bactéries et maladies gastriques, ouvrant la voie quelques années plus tard à la mise en évidence d’un lien entre bactéries et cancers 2. Depuis, il est établi que Helicobacter pylori est le facteur de risque majeur du développement du cancer gastrique. Les patients porteurs de cette bactérie ont donc plus de risque d’avoir un tel cancer. Depuis, de plus en plus d’études ont identifié d’autres souches bactériennes associées à des cancers.
Le cancer est causé par des mutations
Mais comment expliquer ce lien entre la présence de certaines bactéries et le cancer ? Pour le comprendre, il faut garder en tête les conditions de formation d’une tumeur : l’accumulation de mutations qui peuvent affecter des processus cellulaires essentiels. Une cellule normale a une capacité de prolifération limitée et finit par mourir, tandis qu’une cellule cancéreuse, de par ses mutations, peut proliférer indéfiniment sans mourir.
Les mutations apparaissent lorsque l’ADN est endommagé et n’est pas correctement réparé. Dans ce cas, la séquence de l’ADN change, elle ne transmet plus la même information et donc la fonction de la cellule est modifiée voire inactivée. Les mutations sont des événements aléatoires mais leur fréquence peut être augmentée par certains facteurs environnementaux, comportementaux, génétiques, ou bien par les infections virales et bactériennes 3.
Les mécanismes par lesquels les bactéries favorisent le cancer
Le corps est en permanence exposé à des bactéries, dangereuses ou non. Dans la majorité des cas, ces bactéries omniprésentes ne posent pas de problème et coexistent avec notre organisme qui maintient une barrière les empêchant de pénétrer dans nos tissus. Par exemple, notre intestin, par lequel circulent aliments et bactéries, est recouvert d’un mucus qui sépare les bactéries des cellules. Cependant, il arrive que cette séparation soit rompue, par exemple en cas de blessure, d’infection par certaines bactéries pathogènes, ou de prédisposition génétique 4.
Dans ce cas, des bactéries peuvent se retrouver en contact direct avec nos cellules, et interagir avec elles. Certaines bactéries sécrètent des toxines qui endommagent directement l’ADN de nos cellules et favorisent l’apparition de mutations. D’autres peuvent interférer avec le fonctionnement des cellules, en stimulant leur prolifération ou en favorisant leur survie par exemple. D’autres encore peuvent induire une inflammation chronique, qui favorise également les mutations.
La relation bactérie/cancer en clinique
Les effets pro-cancer de certaines souches bactériennes ont été clairement démontrés, souvent sur des cellules en culture puis sur des modèles animaux. D’autre part, lors d’études épidémiologiques sur des groupes d’individus, ces bactéries sont plus souvent détectées chez les patients atteints de cancer que chez les sujets sains.
Néanmoins, la relation entre bactérie et cancer n’est pas toujours claire. Il est souvent difficile de déterminer si la bactérie est directement impliquée dans l’initiation du développement tumoral. En effet, des bactéries peuvent se retrouver plus souvent chez les patients malades sans pour autant être une cause de leur cancer. Chaque souche bactérienne survit et prolifère dans des conditions bien particulières qui lui sont propres. La présence de tumeur(s) pourrait induire un habitat plus favorable à certaines bactéries, qui profiteraient donc simplement du changement d’environnement.
Initiatrices du cancer ou opportunistes, les bactéries sont donc de potentiels biomarqueurs en cancérologie. Puisque certaines souches bactériennes sont enrichies lors de cancers, il serait possible de détecter leur présence ce qui serait une indication que les patients sont atteints de cancer, ou bien sont plus à risque de développer un cancer 5. De plus, il est parfois compliqué de repérer des tumeurs notamment dans les stades précoces de cancer. Des marqueurs bactériens de cancers pourraient permettre de détecter plus tôt le cancer et donc de prendre en charge les patients rapidement, ce qui augmente considérablement les chances de survie.
Références
1. Warren, JR et al. (1983) Unidentified curved bacilli on gastric epithelium in active chronic gastritis. Lancet. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(83)92719-8
2. IARC Working Group on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans. (1994) Schistosomes, liver flukes and Helicobacter pylori. IARC Monogr Eval Carcinog Risks Hum.
3. Organisation mondiale de la Santé (2022) Cancer https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/cancer
4. Garrett, WS. (2015) Cancer and the microbiota. Science. https://doi.org/10.1126/science.aaa4972
5. Gagnière, J et al. (2016) Gut microbiota imbalance and colorectal cancer. World J Gastroenterol. https://doi.org/10.3748/wjg.v22.i2.501
Cet article a été édité par le spécialiste Dr Eliette Touati et révisé par Dr Marie Juzans.
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