Pourquoi tout le monde parle de Cryo-EM ?
Quand on fait de la recherche moderne en biologie cellulaire, on rencontre souvent les termes de « Cryo-EM » (cryo-microscopie électronique) et « Cryo-ET » (cryo-tomographie électronique) (Eisenstein, 2023). Les données en trois dimensions générées à l’aide de ces techniques sont caractérisées par une résolution remarquable (à l’échelle du nanomètre) et révèlent des détails inédits sur des structures cellulaires, cachés aux autres méthodes d’imagerie. Ce n’est donc pas étonnant que grand nombre de biologistes s’intéressent à ces méthodes, ainsi qu’à leur mise-en-oeuvre dans leurs axes de recherche respectifs. Cependant, beaucoup de ces chercheurs ignorent aussi à quel point ces méthodes sont coûteuses. De même, il est important de noter que le terme « Cryo-EM » englobe tout type de travail réalisé à l’aide d’un microscope cryo-électronique. Néanmoins, cet article s’intéresse particulièrement à la Cryo-ET—une méthode d’imagerie qui capture l’échantillon sous plusieurs angles, puis se base sur ces captures pour reconstruire un jeu de données tridimensionnelles.
Pour mieux comprendre le caractère révolutionnaire Cryo-ET, il convient de passer rapidement en revue les plus de 80 ans d’histoire de la microscopie électronique (EM). Selon la méthode traditionnelle d’EM, les échantillons doivent être préparés suivant une série d’étapes de fixation chimique, inclusion en résine et découpage avant d’être imagés. Pour la EM à température ambiante, les cellules sont d’abord surgelées (vitrifiées), puis l’eau dans les cellules est remplacée par un solvant organique. Ensuite, des colorants sont ajoutés pour améliorer le contraste des structures sub-cellulaires, puis la préparation est incluse dans une résine. Après durcissement, le bloc de résine est découpé en tranches assez fines (< 100 nm) pour être traversées par un rayon d’électrons. Bien que cette méthode traditionnelle ait ses avantages mais aussi ses inconvénients, elle est encore couramment employée pour adresser des questions de recherche biologique diverses et variées. Cependant, il a aussi été suggéré que les traitements chimiques que subit l’échantillon lors de sa préparation pourraient générer des artéfacts dans la structure subcellulaire.
C’est ici que la Cryo-EM introduit des améliorations révolutionnaires au protocole traditionnel, en réponse aux critiques faites à l’encontre de l’EM à température ambiante. Plus précisément, les cellules à imager sont cultivées et vitrifiées directement sur une grille très fine (3.05 nm de diamètre) spécifique pour la Cryo-EM, s’affranchissant ainsi de tout autre pré-traitement. Si les cellules sont maintenues dans des conditions de température cryogéniques (< 150°C, typiquement dans de l’azote liquide), elles resteront dans un état très proche de leur état original, fixées dans le temps et dans l’espace au sein de la glace. Cependant, les plus gros obstacles à la Cryo-EM restent (i) le faible contraste intrinsèque de l’échantillon cellulaire, (ii) la finesse limitée du rayon électronique et (iii) le faible débit expérimental. Récemment, certains de ces obstacles ont finalement pu être surmontés (Turk & Baumeister, 2020), ce qui a valu en 2017 un prix Nobel aux chercheurs à l’origine de ces avancées (NobelPrize.org, 2017). Un exemple remarquable de ces améliorations est le développement de détecteurs à électrons directs, qui ont grandement augmenté la qualité d’images obtenues à faible dose électronique. Non satisfaits de ces progrès, les biologistes cellulaires ont continué à travailler pour regarder au plus profond de la cellule, là où les rayons électroniques ne pénètrent pas. Ici, un tranchage plus fin des cellules avec un couteau (CEMOVIS) ou avec un rayon ionique concentré (FIB-SEM) a aidé à surmonter cet obstacle. En particulier, le découpage avec un rayon ionique concentré (FIB) en conditions cryogéniques permet d’isoler des tranches cellulaires de 100 à 200 nm d’épaisseur (Figure 1). Récemment, des chercheurs ont appliqué cette technique pour caractériser le cycle de réplication du SARS-CoV-2 in situ (Klein et al., 2020).
L’avantage prédominant du Cryo-EM reste cependant sa capacité à imager, avec une précision extraordinaire, des cellules dans un état très proche des conditions physiologiques. Avec une résolution sous la barre des 10 nanomètres, les chercheurs peuvent identifier une multitude de structures sub-cellulaires, allant d’organelles plutôt volumineuses jusqu’à des structures intermédiaires telles que les microtubules et les filaments d’actine. Les chercheurs peuvent aussi se servir de l’analyse de particules individuelles (SPA), qui permet de résoudre la structure de protéines, en plus de méthodes de tomographie, pour reconstruire la structure tridimensionnelle des structures imagées. Cette approche novatrice, appelée sub-tomogram averaging (STA) en anglais, permet la résolution in situ de structures protéiques à l’échelle du nanomètre.
Pour augmenter le débit expérimental, les chercheurs s’inspirent d’approches pluridisciplinaires afin de développer des protocoles plus faciles à exécuter. Une telle stratégie remarquable est celle de la microstructuration des grilles spéciales EM, qui consiste à couvrir la surface de la grille avec une substance qui repousse les cellules, puis d’enlever cette couche à des endroits précis pour définir finement la localisation des cellules sur la surface de la grille. Une autre stratégie pour augmenter le nombre d’échantillons analysés par unité de temps consiste à utiliser des marqueurs fluorescents pour guider l’oeil de l’utilisateur vers les structures d’intérêt ; on parle de « microscopie électronique et optique cryo-corrélée » (Cryo-CLEM). Cette technique ajoute une étape supplémentaire au protocole de base, mais a l’avantage de combiner la spécificité des informations fournies par la microscopie de fluorescence avec les données structurelles provenant de l’EM. Même si en théorie rien n’empêche de faire du Cryo-CLEM à haute résolution, la résolution atteignable par cette méthode est limitée par l’absence d’objectifs capables de résister aux conditions cryogéniques.
Comme on l’a mentionné ci-dessus, l’efficacité de la Cryo-EM est aussi limitée par l’épaisseur des échantillons. Ce paramètre devient encore plus limitant lorsqu’on s’intéresse à des tissus, qui sont composés de plusieurs couches cellulaires, épaisses de centaines de microns, mais où une coupe transversale pourrait fournir des observations davantage informatives du point de vue biologique. Pour s’attaquer à ce problème, une nouvelle méthode appelée Cryo-lift-out a été récemment développée selon une approche très différente. Cette technique nécessite une stratégie de congélation à haute pression (HPF), suivie par le découpage et l’isolement d’un bloc de tissu à l’aide d’une aiguille spéciale résistant le froid extrême, puis d’un découpage encore plus fin de l’échantillon (Schaffer et al., 2019). Encore plus récemment, une autre version de cette méthode a été déployée à l’échelle d’un organisme entier : un nématode C. Elegans, qui a été découpé en 40 tranches puis imagé par tomographie (Schiøtz et al., 2023). Néanmoins, à ce jour personne d’autre n’a réussi à répliquer cet exploit technique.
Pour discuter des obstacles associés à la Cryo-ET, il faut considérer trois facteurs principaux : le coût, le temps de travail et la main-d'œuvre. Les coûts liés à l’utilisation d’un microscope peuvent rapidement dépasser les €10 000 hebdomadaires, en fonction des équipements spécifiques utilisés. De plus, des semaines voire des mois peuvent s’écouler entre (i) la génération et l’analyse des données et (ii) l’obtention des résultats, même en travaillant sur juste une ou deux grilles. Il est important de noter que, selon les projets, un seul jeu de données peut suffire pour conforter des observations faites sur d’autres jeux de données produits via d’autres techniques, alors que certaines questions peuvent nécessiter des résultats obtenus sur plusieurs grilles EM pour avoir des réponses statistiquement significatives. Aussi, ces délais sont estimés pour un utilisateur expert—ce qui nous ramène au troisième facteur à prendre en considération : la main-d'œuvre. Vu que la courbe d’apprentissage de la Cryo-ET est très raide, il est recommandé de confier cette tâche à un expérimentateur dédié, qui peut tout de même avoir besoin de répéter l’expérience plusieurs fois avant d’obtenir les résultats significatifs . En revanche , les données obtenues grâce à ces méthodes valent souvent le temps et les efforts dépensés.
En conclusion, la Cryo-ET est une technique extrêmement puissante qui vaut souvent son prix, mais qui requiert des ressources très particulières, et ne doit donc pas être vue comme un moyen d’obtenir « une petite figure rapide » pour sa prochaine publication. Donc, il vaut mieux discuter avec un expert dédié en amont des problèmes biologiques à adresser, car la Cryo-ET n’est pas la réponse à toutes les questions. Le plus souvent, la Cryo-ET ouvre des voies de recherche vers de nouvelles questions. En plus, et selon chaque question biologique, d’autres méthodes peuvent être plus appropriées. Par exemple, des méthodes de localisation de molécules uniques, comme PALM et STORM, peuvent atteindre des résolutions proches de la Cryo-ET et fournissent des résultats plus spécifiques grâce à des marqueurs fluorescents (Lelek et al., 2022). La tomographie à rayons X doux (Cryo-SXT) a une résolution plus faible (30 nm) mais permet d’imager des échantillons épais de jusqu’à 10 microns en conditions cryogéniques, avec une champ de vision plus large et sans avoir à les colorer (Groen et al., 2019). De plus, d’autres méthodes d’EM, à température ambiante ou en conditions cryogéniques, peuvent apporter des meilleures réponses à certaines questions, comme par exemple la volume-EM (Collinson et al., 2023). Néanmoins, les techniques de Cryo-EM, et plus particulièrement de Cryo-ET, restent tout de même révolutionnaires et dévoilent des structures microscopiques inédites de façon régulière (Laughlin et al. 2022). Par ailleurs , la Cryo-ET est une technique encore jeune, en plein développement, qui promet de continuer à ouvrir les portes de l’univers en miniature des cellules.
References
Collinson, L. M., Bosch, C., Bullen, A., Burden, J. J., Carzaniga, R., Cheng, C., Darrow, M. C., Fletcher, G., Johnson, E., Narayan, K., Peddie, C. J., Winn, M., Wood, C., Patwardhan, A., Kleywegt, G. J., & Verkade, P. (2023). Volume EM: a quiet revolution takes shape. In Nature Methods (Vol. 20, Issue 6). https://doi.org/10.1038/s41592-023-01861-8
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Laughlin, T.G., Deep, A., Prichard, A.M., Seitz, C., Gu, Y., Enustun, E., Suslov, S., Khanna, K., Birkholz, E.A., Armbruster, E. and McCammon, J.A., 2022. Architecture and self-assembly of the jumbo bacteriophage nuclear shell. Nature, 608(7922), pp.429-435. https://doi.org/10.1038/s41586-022-05013-4
Lelek, M., Gyparaki, M. T., Beliu, G., Schueder, F., Griffié, J., Manley, S., Jungmann, R., Sauer, M., Lakadamyali, M., & Zimmer, C. (2022). Author Correction: Single-molecule localization microscopy. Nature Reviews Methods Primers, 2(1), 70. https://doi.org/10.1038/s43586-022-00161-3
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Turk, M., & Baumeister, W. (2020). The promise and the challenges of cryo‐electron tomography. FEBS Letters, 594(20), 3243–3261 https://doi.org/10.1002/1873-3468.13948
Cet article a été révisé par Marie Prevost. Traduit de l'anglais par Yan Aquino.
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