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Oeuvre d'Alba Llach Pou

Les cerveaux évoluent différemment sous l’eau

Les céphalopodes  famille qui incluent le calamar, la pieuvre, la seiche ou le nautile sont les plus intelligents et agiles de tous les mollusques, possédant des aptitudes extraordinaires pour la prédation, la locomotion et la communication. Malgré leur relation distante aux humains dans l’évolution des espèces, leurs remarquables capacités cognitives remettent en cause la vision traditionnelle de l’évolution des cerveaux complexes, en révélant des chemins inattendus vers l’intelligence.


Illustration par Sina Sommer
Illustration par Sina Sommer

Le cerveau est un produit de l’évolution, qui l’a façonné et transformé tout le long des diverses  métamorphoses qu’a connu le règne animal. Pourtant, le cerveau reste l’un des plus grands mystères à ce jour. Sa structure, sa chimie et ses fonctions font l’objet de nombre de questions sans réponse.


En tant qu’êtres humains, nous sommes anthropocentrés. Nous tendons à nous voir comme le summum de la complexité, croyant qu’il n’y a rien de plus fascinant que l’esprit humain. Cependant, si le cerveau de Homo sapiens est certainement remarquable, un groupe d’animaux marins continue de captiver les scientifiques : les céphalopodes coléoïdes – les pieuvres, les calamars et les seiches. Bien que classés parmi les mollusques, avec les moules ou les animaux à coques (je n’ai rien contre eux), les céphalopodes coléoïdes possèdent un système nerveux comparable à celui des vertébrés. Ces créatures extraordinaires ont à la fois un cerveau central et un système nerveux périphérique qui peut agir seul. Par exemple, lorsqu’une pieuvre perd une tentacule, le membre détaché conserve sa sensibilité au toucher et peut encore bouger1.


Les pieuvres font preuve de signes d’intelligence remarquables. Elles sont de nature curieuse, sont capables de se souvenir d’événements, et peuvent même reconnaître des individus distincts – montrant des préférences pour certains plus que d’autres. Des études récentes suggèrent même qu’elles pourraient rêver, puisque leur peau change de couleur et de texture lorsqu’elles dorment2. Comment un organisme si loin de nous dans l’arbre de l’évolution – et si proche de créatures relativement simples, avec des capacités minimales  a-t-il pu développer un système nerveux si complexe?


Les biologistes sont particulièrement fascinés par cette question. Pour tenter de résoudre ce mystère, ils se concentrent souvent sur les gènes, unités fondamentales de l’hérédité. Les biologistes de l’évolution les utilisent souvent pour comprendre comment les êtres vivants s’adaptent, évoluent et interagissent avec leur environnement, ce qui revient à résoudre un puzzle génétique géant et changeant sans cesse.


Imaginez notre patrimoine génétique comme une vaste bibliothèque privée, où chaque livre contient des instructions pour construire et perpétuer l’organisme. Ces livres peuvent être remaniés, de nouvelles pages peuvent être ajoutées et d’autres retirées : c’est la modification des gènes. Traditionnellement, on a considéré ces changements génétiques comme les principaux acteurs de l’innovation dans l’évolution. Or, cette vision ne prend en compte qu’une partie de l’histoire. Pour que les gènes remplissent leurs fonctions, ils doivent d’abord être exprimés. Ce processus implique de créer des copies de sections de ces “livres” (qu’on appelle l’ARNm) et de les transporter vers d’autres parties de la cellule, où elles sont alors prêtes à produire des protéines les véritables unités fonctionnelles de la cellule.


Mais ce processus n’est pas aussi simple que d’appuyer sur un interrupteur. Cela fonctionne plutôt comme un variateur de lumière, permettant de contrôler précisément la “luminosité”, ou l’intensité de l’activité d’un gène. En d’autres termes, plutôt que de lire des “livres” génétiques en entier, ce sont parfois seulement des chapitres spécifiques qui sont utilisés, créant un système de régulation d’autant plus sophistiqué. De plus, il existe une autre couche de régulation appelée les micro-ARN (miARN). Ce sont des petites molécules qui agissent comme des régulateurs et qui peuvent déterminer si les ARNm, copiés à partir de l’ADN – comme des livres empruntés –, seront finalement utilisés ou jetés. En s’attachant à ces copies, les miARN peuvent bloquer leur traduction en protéine, ou bien les marquer pour qu’ils soient détruits. Cette couche supplémentaire de contrôle permet aux cellules d’affiner l’expression génétique avec une précision remarquable, afin de répondre rapidement aux changements environnementaux ou aux signaux de développement.


Or, si on regarde les céphalopodes de plus près, on se rend compte qu’ils possèdent une famille étonnamment grande de ces régulateurs, et qui est particulièrement concentrée dans leurs tissus nerveux, y compris leur cerveau et leur système nerveux périphérique. En outre, ces miARN sont très actifs pendant le développement du système nerveux, jouant sûrement un rôle majeur dans ce processus complexe. C’est en utilisant ces différents degrés de régulation génétique que les céphalopodes ont atteint un niveau de complexité du système nerveux qui rivalise avec celui des vertébrés. Ces molécules régulatoires sont hautement conservées au cours de l’évolution, ce qui suggère fortement que leurs interactions avec le génome sont non seulement fonctionnelles mais aussi critiques pour le développement et l’exploitation du système nerveux de la pieuvre3. Cette remarquable conservation et cette spécialisation dans les tissus nerveux pourraient indiquer que les miARN jouent un rôle clé dans les comportements sophistiqués et les capacités cognitives observées chez les céphalopodes. Cela remet en question l’idée que les systèmes nerveux complexes sont exclusifs aux vertébrés, soulignant un chemin évolutif alternatif vers l’intelligence et l’adaptabilité.


Les biologistes utilisent l’évolution comme cadre central pour comprendre les processus biologiques, en se basant sur la façon dont les traits et les systèmes se sont développés au cours du temps. Depuis l’établissement des lois de Mendel, d’innombrables paradigmes ont émergé, nous fournissant une richesse incroyable de savoir en matière de génétique. Cependant, des découvertes comme celle-ci nous rappellent que l’activité des gènes est influencée par bien plus que leur simple séquence. L’ADN a souvent été décrit comme “le livre de la vie”, un peu comme un manuel d’instructions. Or, plutôt qu’une liste banale de directives, il vaudrait mieux le comparer à un système météorologique dynamique – composé de boucles rétroactives complexes et d’interdépendances indispensables à son fonctionnement.


Au lieu de percevoir cette complexité comme désordonnée ou chaotique, on devrait s’émerveiller de la manière dont  la nature emploie un éventail varié d’outils génétiques pour créer des formes similaires d’intelligence chez différentes espèces. Adopter un tel point de vue nous permet de mieux apprécier l’adaptabilité inhérente au monde naturel.



Réferences


  1. Fossati, S.M., Carella, F., De Vico, G., Benfenati, F., and Zullo, L. (2013). Octopus arm regeneration: Role of acetylcholinesterase during morphological modification. J. Exp. Mar. Biol. Ecol. 447, 93–99. https://doi.org/10.1016/j.jembe.2013.02.015.

  2. Pophale, A., Shimizu, K., Mano, T., Iglesias, T.L., Martin, K., Hiroi, M., Asada, K., Andaluz, P.G., Van Dinh, T.T., Meshulam, L., et al. (2023). Wake-like skin patterning and neural activity during octopus sleep. Nature 619, 129–134. https://doi.org/10.1038/s41586-023-06203-4.

  3. Zolotarov, G., Fromm, B., Legnini, I., Ayoub, S., Polese, G., Maselli, V., Chabot, P.J., Vinther, J., Styfhals, R., Seuntjens, E., et al. (2022). MicroRNAs are deeply linked to the emergence of the complex octopus brain. Sci. Adv. 8, eadd9938. https://doi.org/10.1126/sciadv.add9938.


Cet article a été révisé par Alicia Velázquez de Castro Esteve. Traduit de l'anglais par Astrid Nilsson.


Rencontrez l'auteur: Maite Freire Delgado


 
 
 
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