Alors que la frontière entre l’homme et les habitats sauvages s’estompe, rendant les contacts avec la faune sauvage de plus en plus fréquents, de nouvelles maladies qui se transmettent naturellement de l’animal à l’homme, les zoonoses, émergent dans les populations humaines. Ces zoonoses sont d’autant plus préoccupantes qu’elles présentent un risque pandémique (risque de créer des épidémies à l’échelle internationale) élevé.
Le VIH en 1981, le SARS-CoV-1 en 2003, le virus de la grippe H1N1 en 2009 (grippe “porcine”), le MERS-CoV en 2012, le virus Ebola en 2014, le virus Zika en 2015, le SARS-CoV-2 en 2019. Ces virus qui ont fait et font couler beaucoup d’encre inquiètent les scientifiques et les populations. Vous vous demandez sûrement comme moi pourquoi ces virus causent des pandémies et pas d’autres ? Comment sont-ils apparus chez l’homme ? Quels sont les moyens à notre disposition pour lutter contre ces fléaux ? Quelques questions que je me suis également posées pendant mon cursus en Santé Publique et auxquelles je vais essayer de répondre.
Ces virus sont responsables de maladies infectieuses qui se transmettent naturellement de l’animal à l’homme, également connues sous le terme scientifique de zoonoses. La transmission peut se faire par contact direct avec le réservoir animal, par l’intermédiaire d’une autre espèce de Vertébrés ou via un insecte, comme ces moustiques tigres bien connus du public. La rage est un exemple emblématique de zoonose : elle circule majoritairement dans les populations canines et est transmise à l’homme par morsure. Toutefois, les virus ne sont pas les seuls pathogènes à l’origine des zoonoses. Par exemple, les parasites du genre Plasmodiumtransmis par les moustiques sont responsables des épidémies de paludisme dans les zones subtropicales. Contrairement à ces maladies connues et étudiées depuis longtemps, les zoonoses dites émergentes ont été identifiées récemment chez l’homme ou se sont propagées depuis peu dans de nouvelles zones géographiques. Ici, nous nous concentrerons sur la première catégorie de zoonoses émergentes, celles qui ont été récemment identifiées chez l’homme.
Premier point important : comment une zoonose émerge-t-elle ? Le passage d’un agent infectieux d’un animal sauvage à l’homme est un phénomène assez rare car il met en jeu de nombreux facteurs comme la proximité des contacts entre l’animal réservoir et l’homme, la densité de la population humaine ou encore le niveau d’adaptation de l’agent infectieux à l’homme. Parmi la grande diversité de pathogènes qui circulent chez les animaux, certains ont la capacité naturelle d’infecter l’homme et peuvent contaminer sporadiquement des êtres humains. Si un tel pathogène acquiert la capacité à se transmettre d’homme à homme, alors il peut provoquer des épidémies localisées comme le MERS-CoV en Arabie Saoudite, un virus responsable d’un syndrome respiratoire qui est probablement transmis à l’homme depuis la chauve-souris via le dromadaire. Si la contagiosité du pathogène devient plus élevée, les épidémies prennent de l’ampleur comme pour Ebola 1. Dans certains cas, comme celui du VIH, une fois transmis à l’homme, le pathogène peut devenir spécifique à notre espèce 2.
Deuxième point : comment une zoonose peut-elle être à l’origine d’une pandémie ? Heureusement, toutes les zoonoses ne provoquent pas une pandémie ! Deux facteurs sont indispensables: la capacité de transmission du nouveau pathogène dans la population humaine et la structure de cette dernière 1, 3. Dans le cas du MERS-CoV, le risque pandémique reste faible car le virus se transmet difficilement d'homme à homme. Toutefois, la situation n’est pas figée et une ou plusieurs mutations pourraient augmenter sa contagiosité. Dans le cas du SARS-CoV-1, c’est la densité et la structure de la population humaine qui ont joué un rôle sur la vitesse et l’ampleur de la propagation de la maladie 3. En effet, elle s’est rapidement transmise depuis Hong Kong, véritable hub aérien, vers le reste du monde après un événement de super-contamination où une dizaine de voyageurs auraient été infectés par le même individu puis ont disséminé le virus dans leurs pays respectifs.
L’émergence des zoonoses n’est pas un phénomène nouveau. Au cours de l’histoire de notre espèce, nous avons acquis de nouveaux virus, bactéries et parasites au moment de la domestication des animaux d’élevage. Prenons l’exemple de la rougeole qui nous vient tout droit des bovins et qui aurait émergé chez l’homme au VIe siècle avant J.-C 4. Aujourd’hui, la domestication ne permet pas d'expliquer la multiplication des zoonoses. Ce sont les activités humaines modernes qui favorisent leur apparition en augmentant le risque de transmission à l'homme et en accélérant leur propagation dans les populations humaines. Par exemple, la déforestation altère les écosystèmes, ce qui modifie le comportement des animaux sauvages et augmente par conséquent les contacts entre la faune sauvage, les animaux domestiques et les hommes (fièvre de Lassa). La chasse de viande de brousse (VIH, Ebola) et l’élevage intensif (grippe porcine, SARS-CoV-1) favorisent également le risque de transmission de l’animal à l’homme. De manière plus indirecte, le changement climatique causé par l’homme contribue à l’expansion géographique des insectes vecteurs de zoonoses (dengue en Europe) 3.
La complexité et la diversité des facteurs d’émergence et de propagation des zoonoses nécessitent une approche qui intègre la santé humaine, la santé animale et le bon fonctionnement des écosystèmes. L’Organisation Mondiale de la Santé a développé une approche pluridisciplinaire « Un monde, une santé » (plus communément appelée approche One Health) qui fait le pont entre les différents professionnels de santé pour mieux comprendre et lutter contre les zoonoses, et notamment les zoonoses émergentes. Par exemple, des programmes de surveillance permettent de mieux comprendre et de suivre la propagation de virus de chauves-souris avant qu’ils ne se propagent chez les animaux domestiques ou l’homme 5.
En résumé, les zoonoses émergentes sont des maladies infectieuses qui se transmettent de l’animal à l’homme et qui ont été identifiées récemment chez l’homme ou dans de nouvelles zones géographiques. De nombreux facteurs anthropiques sont responsables de la multiplication des zoonoses émergentes qui représentent une menace pour l’homme et la biodiversité. Afin de répondre à ces enjeux, l’Organisation Mondiale de la Santé développe une approche multisectorielle « Un monde, une santé » qui combine les expertises de plusieurs domaines scientifiques pour élaborer des programmes de recherche et de lutte efficaces.
Références
1. Wolfe ND et al (2007) Origins of major human infectious diseases. Nature. https://doi.org/10.1038/nature05775
2. Karesh WB et al (2012) Ecology of zoonoses: natural and unnatural histories. Lancet. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(12)61678-X
3. United Nations Environment Programme, International Livestock Research Institute. (2020) Preventing The Next Pandemic: Zoonotic diseases and how to break the chain of transmission. https://www.unep.org/resources/report/preventing-future-zoonotic-disease-outbreaks-protecting-environment-animals-and
4. Düx A et al. (2020) Measles virus and rinderpest virus divergence dated to the sixth century BCE. Science http://doi.org/10.1126/science.aba9411
5. Gibb R et al (2020) Ecosystem perspectives are needed to manage zoonotic risks in a changing climate. BMJ https://doi.org/10.1136/bmj.m3389
Pour aller plus loin :
Arnaud Fontanet, Cours « Les pandémies » à la Chaire de Santé Publique du Collège de France, 2018-2019 https://www.college-de-france.fr/site/arnaud-fontanet/course-2018-2019.htm
Cet article a été édité par le spécialiste Dr. Sarah Temmam et révisé par Elsa Charifou.
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